L’image d’un cancer inexorablement écrit dans nos gènes persiste dans l’imaginaire collectif. Pourtant, la génétique du cancer est bien plus nuancée, tout particulièrement lorsqu’on compare la population des seniors à celle des jeunes adultes. Est-il vrai que le poids du facteur génétique s’accentue avec l’âge ? Ou bien les éléments hérités et acquis interagissent-ils différemment au fil des décennies ? Cette question devient centrale, alors que l’on sait que près de 60% des nouveaux cas de cancer en France surviennent après 65 ans [Santé Publique France].
Analyser le rôle du facteur génétique selon l’âge, c’est s’attaquer à plusieurs couches de complexité : mutations germinales (héréditaires), mutations somatiques (acquises), exposition environnementale, et usure biologique s’entremêlent. Détaillons ce que la littérature scientifique apporte sur la question et ce que cela implique pour la prise en charge.
Le cancer possède une part de risque familial et génétique, incarnée par les mutations dites germinales que l’on porte dès la naissance. Cependant, moins de 10 % des cancers chez l’adulte relèvent d’un syndrome de prédisposition génétique identifiable [HAS], un chiffre qui reste globalement stable quel que soit l’âge.
Chez les jeunes adultes touchés par un cancer thoracique (notamment un cancer bronchique avant 40 ans), la suspicion d’une cause génétique forte est renforcée. On pense par exemple aux mutations du gène TP53 (syndrome de Li-Fraumeni) ou du gène EGFR dans certains cancers bronchiques non induits par le tabac. Ainsi, le rôle du facteur génétique héréditaire paraît proportionnellement plus marqué dans les cas de cancers du sujet jeune.
Le dépistage génétique, crucial chez les jeunes, l’est donc moins en routine chez les seniors, sauf contexte clinique ou familial suggestif.
Les mutations somatiques, qui se produisent au fil des années dans le tissu pulmonaire ou pleural, résultent d’une exposition cumulative aux facteurs environnementaux (tabac, pollution, radiations, infections) mais aussi de l’usure naturelle de la réplication cellulaire [National Cancer Institute].
Plus l’âge avance, plus le nombre de mutations somatiques augmente. Ce phénomène, bien documenté (notamment par les analyses de génomes tumoraux issues du programme The Cancer Genome Atlas), montre que la diversité et la complexité génétique des tumeurs croissent avec le vieillissement :
Ces mutations somatiques ne sont pas héréditaires mais constituent la base du « hasard » biologique conduisant à la cancérogénèse. Chez le senior, la balance risque héréditaire / risque somatique penche nettement du côté des mutations acquises.
Certaines altérations génétiques sont plus fréquentes en fonction de l’âge au diagnostic. Par exemple :
Ce panorama montre que la sénescence cellulaire n’induit pas une mutation unique dominante, mais une combinaison complexe, souvent polysomique. Dans certains cas, l’apparition d’instabilités génomiques ou de pertes d’expression de gènes suppresseurs de tumeurs comme TP53 sont plus marquées avec l’âge [Nature Reviews Cancer, 2017].
Chez les sujets âgés, la génétique conserve un tiers de son pouvoir dans l’analyse du risque ou dans la réponse aux thérapies ciblées. Mais l’hétérogénéité tumorale s’accentue : on observe souvent plusieurs sous-clones tumoraux génétiquement distincts dans la même tumeur. Cette mosaïque complique le lien entre « un profil génétique » et « une stratégie thérapeutique ».
Quelques chiffres clés :
Les tests moléculaires restent toutefois indispensables à tout âge, mais leur rendement est mathématiquement moindre chez les seniors pour la découverte d’une anomalie d’intérêt clinique immédiat.
Avec l’âge, ce n’est plus seulement la séquence des gènes qui compte, mais aussi leur mode d’expression. Le phénomène d’épigénétique prend alors une place croissante : méthylation de l’ADN, modifications des histones, silençage de certains gènes contributeurs du cancer.
Le facteur génétique, qu’il soit germinal ou somatique, ne doit plus être vu comme un destin inéluctable. Chez les seniors, l’accent doit être mis autant sur :
Dans les recommandations européennes (ESMO, 2022), le test de panel “Next Generation Sequencing” (NGS) chez les patients seniors est conseillé en seconde intention, sauf histoire familiale ou biologie évocatrice.
La médecine génétique n’est ni omnipotente, ni impuissante. Chez les seniors, replacer le facteur génétique dans une vision globale, intégrative, respectueuse du rythme du vieillissement s’impose désormais.
La recherche s’oriente vers des signatures multi-omiques (génome, transcriptome, épigénome) afin de mieux anticiper les trajectoires cliniques, et, à terme, proposer au senior ou à sa famille des relais de prévention individualisée.
Le facteur génétique garde son intérêt scientifique et clinique, mais n’est jamais isolé : il dialogue sans cesse avec l’environnement, le hasard, l’histoire médicale – et surtout, avec la volonté du patient et des professionnels de chercher sens et adaptation dans la prise en charge.