Les cancers thoraciques figurent parmi les cancers les plus fréquents et les plus meurtriers chez la personne âgée. En France, l’âge médian au diagnostic du cancer du poumon est de 67 ans, mais on estime que près de 40% des cas surviennent après 70 ans (Institut National du Cancer). Le vieillissement de la population élargit ainsi significativement la part des seniors parmi les patients concernés, un phénomène accentué par l’augmentation de l’espérance de vie et les progrès médicaux dans d’autres domaines.
L’un des mécanismes majeurs expliquant l’augmentation du risque de cancer avec l’âge réside dans l’accumulation progressive de dommages à l’ADN. Chaque année, une cellule subit en moyenne 10 000 à 1 million de lésions de l’ADN dues à des processus internes (erreurs de réplication, radicaux libres) ou externes (tabac, pollution). En vieillissant, la capacité de réparation de l’ADN diminue, favorisant l’émergence de clones cellulaires anormaux proliférants.
Avec l’âge, le système immunitaire perd sa capacité à détecter et éliminer efficacement les cellules précancéreuses ou cancéreuses, un phénomène décrit sous le terme d’immunosénescence. Ce processus inclut :
Par conséquent, les sujets âgés présentent une capacité moindre de « surveillance tumorale », doublée d’une tolérance accrue des cellules tumorales par l’organisme.
Les substances inhalées nocives représentent la première cause évitable de cancer thoracique. Avec le temps, une exposition prolongée multiplie le risque :
Les générations âgées, ayant traversé différentes époques (tabagisme féminin massif dans les années 70-80, absence de législation sur le radon, exposition professionnelle à l’amiante), présentent ainsi des histoires d’exposition souvent intriquées.
L’exposition chronique aux particules fines (PM2,5), diesel et ozone est associée à une augmentation du risque de cancer bronchique, avec un impact particulièrement marqué chez les sujets âgés déjà fragilisés par d’autres facteurs (International Agency for Research on Cancer, 2013). L’action cumulative de ces polluants majore les lésions de l’ADN et favorise la persistance de l’inflammation pulmonaire.
Personne n’ignore aujourd’hui le lien entre exposition à l’amiante et cancer de la plèvre (mésothéliome). Or, le délai médian entre l’exposition et l’apparition du cancer peut dépasser 40 ans, expliquant pourquoi la majorité des mésothéliomes surviennent après 65 ans. Ces cancers sont ainsi la mémoire pathologique d’expositions professionnelles passées. En France, plus de 90% des cas de mésothéliome sont liés à une exposition professionnelle à l’amiante (Institut de Veille Sanitaire, 2020).
Avec l’âge, les pathologies chroniques se multiplient et modifient le terrain biologique :
Certaines études ont montré que plus de 75 % des patients âgés atteints d’un cancer du poumon présentaient au moins 2 comorbidités majeures au moment du diagnostic (Lancet Oncology, 2018).
Les fonctions de défense du poumon (mécanismes de clarification mucociliaire, activité enzymatique de détoxification) diminuent avec l’âge, exposant à une rémanence accrue des substances cancérogènes dans l’arbre respiratoire.
Les inégalités sociales de santé se creusent souvent avec l’avancée en âge. La précarité, le manque d’information ou l’isolement social peuvent retarder le diagnostic, limiter l’accès aux programmes de dépistage ou empêcher l’éviction de certains facteurs de risque (tabac, expositions professionnelles).
Des études récentes démontrent aussi l’impact du parcours migratoire sur l’exposition aux cancérigènes (zones de forte pollution, métiers à risque dans le pays d’origine ou d’accueil) ; les trajectoires de vie sont ainsi un levier de vulnérabilité supplémentaire, encore mal exploré pour les cancers thoraciques.
Le vieillissement du parenchyme pulmonaire s’accompagne d’une réduction de la capacité respiratoire, d’une altération de la structure alvéolaire et d’une minorisation de l’efficacité des réponses régénératives. Ceci favorise, par exemple, l’installation de lésions précancéreuses non réparées, en particulier dans les zones pulmonaires altérées par d’anciens processus inflammatoires.
Le vieillissement influence également la distribution topographique des cancers thoraciques chez les seniors : les tumeurs sont retrouvées plus fréquemment dans les zones périphériques chez la personne âgée, alors qu’elles étaient plus « centrales » chez le sujet jeune (Chest, 2016).
L’explosion démographique des plus de 70 ans oblige à repenser l’évaluation personnalisée du risque, en tenant compte du cumul des facteurs biologiques, des expositions, du contexte social et des fragilités individuelles. Considérer l’âge isolément serait un contresens ; c’est bien son interaction dynamique avec l’histoire de vie et les milieux de vie qui façonne la survenue des cancers thoraciques.
Comprendre cette complexité est la première condition pour améliorer le repérage des sujets à risque, favoriser des politiques de prévention ciblées, et garantir l’équité d’accès au diagnostic et aux traitements innovants, y compris en situation de grande vieillesse.
La recherche continue d’affiner la cartographie des facteurs de risque propres aux seniors, en intégrant de plus en plus l’importance du microbiote respiratoire, des prédispositions génétiques et des marqueurs de fragilité. De nouveaux outils d’évaluation gériatrique oncologique se développent pour conjuguer évaluation médicale, sociale et fonctionnelle, au service d’une oncologie thoracique plus humaine et plus juste.