Cancers thoraciques des seniors : état des lieux et dynamiques contemporaines

Données de prévalence après 65 ans : un poids croissant du cancer thoracique

En France, selon l’Institut National du Cancer (INCa), près de 45 % des diagnostics annuels de cancer du poumon concernent des personnes de 70 ans et plus (données 2023). Cette proportion grimpe encore dans certaines régions, comme le Nord et l’Est, où la population est plus vieillissante et les antécédents de tabagisme plus marqués.

Au niveau mondial, le Global Cancer Observatory (GLOBOCAN, OMS, 2020) estime que chez les individus âgés de 65 ans et plus, la prévalence du cancer du poumon représente plus de 50 % des cas identifiés chaque année. En Europe occidentale, cette proportion s’élève à 55-60 % chez les hommes et à environ 45 % chez les femmes seniors. Ces statistiques soulignent l’empreinte croissante du vieillissement démographique sur l’épidémiologie du cancer du poumon.

Tranches d’âge les plus exposées chez les seniors

La prévalence du cancer bronchique ne connaît pas un simple gradient linéaire avec l’âge : elle explose chez certaines tranches. En France, selon Santé publique France, l’incidence atteint un pic dans la tranche des 75-79 ans :

  • Hommes 75-79 ans : 456 nouveaux cas pour 100 000 habitants/an
  • Femmes 75-79 ans : 170 nouveaux cas pour 100 000 habitants/an (données FRANCIM, 2022)

Au-delà de 80 ans, les chiffres restent élevés mais une légère décroissance relative s’observe, possiblement en lien avec la compétition entre causes de décès à ces âges avancés et une sous-diagnostication liée à la fragilité croissante.

Prévalence chez les hommes et les femmes seniors : convergence des courbes, mais écarts persistants

Historiquement, le cancer du poumon reste plus fréquent chez les hommes seniors, reflet du tabagisme plus précoce et massif dans cette population. Cependant, depuis le début des années 2000, la courbe féminine s’infléchit à la hausse, conséquence de la hausse du tabagisme féminin depuis les années 1970-80.

  • En France, chez les seniors, le rapport homme/femme dans l’incidence du cancer du poumon est passé de 4:1 en 2000 à 2:1 en 2020 (INCa).
  • Sur le plan mondial, la tendance est similaire : aux États-Unis, le National Cancer Institute indique une augmentation annuelle de l’incidence de 1,5 % chez les femmes de plus de 65 ans entre 2010 et 2020, contre une stagnation voire légère baisse chez les hommes grâce aux campagnes antitabac ciblées plus tôt.

On note également une différence de type histologique. Le cancer bronchique non à petites cellules de type adénocarcinome est désormais majoritaire chez les femmes âgées, au contraire des hommes où les carcinomes épidermoïdes restent encore présents.

Vingt ans d’évolution : une double tendance de fond

Depuis le début du XXIe siècle, deux grands mouvements émergent :

  • Un vieillissement de la cohorte des patients atteints. L’âge médian au diagnostic approche désormais les 70 ans en France (FRANCIM, 2023).
  • Un accroissement du nombre absolu de cas chez les aînés, sous l’effet de la densification démographique des plus de 65 ans : la progression annuelle du nombre de nouveaux cas dans cette tranche s’élève à +2,4 % en France entre 2000 et 2020.

En revanche, la mortalité par cancer du poumon a légèrement diminué chez les plus jeunes du fait du recul du tabagisme, ce qui fait mécaniquement croître la part relative des seniors dans l’ensemble des cas diagnostiqués.

Facteurs expliquant l’augmentation des cancers thoraciques chez les âgés

La hausse de la prévalence du cancer du poumon chez les seniors ne relève pas d’un simple effet mécanique du vieillissement. Plusieurs facteurs s’additionnent :

  1. Tabagisme passé Le cancer du poumon est caractérisé par une très longue latence (souvent 30 à 50 ans entre l’exposition et la survenue tumorale). Les générations aujourd’hui septuagénaires ont été exposées à la cigarette dans des proportions inédites, y compris pour les femmes.
  2. Pollution urbaine et exposition aux particules fines Les cohortes âgées ont traversé des décennies de pollution industrielle et urbaine, facteur aujourd’hui reconnu comme cancérogène certain (IARC, OMS).
  3. Mieux vivre, mais plus vieux : un effet paradoxal L’allongement de l’espérance de vie fait que davantage d’individus atteignent les âges où le risque cumulatif devient critique.
  4. Facteurs de vulnérabilité propres au vieillissement Diminution des défenses immunitaires, comorbidités, susceptibilité génétique accrue : autant de paramètres qui potentialisent le surrisque après 65 ans.

Prévalence selon les régions : une géographie inégale

La distribution territoriale de la prévalence du cancer du poumon chez les seniors varie notablement.

  • En France, la prévalence la plus élevée s’observe dans le Nord-Pas-de-Calais, le Grand Est, et certaines zones industrielles du Sud-Est (INCa, 2023). À l’inverse, les régions du Sud-Ouest et de l’Ouest affichent des taux inférieurs, corrélés à une moindre exposition tabagique historique.
  • En Europe, l’Europe de l’Est (Pologne, Hongrie) constate des taux sensiblement supérieurs à l’Europe du Nord, phénomène attribuable à une lutte antitabac moins précoce et à des facteurs socio-environnementaux distincts (European Society for Medical Oncology – ESMO).
  • À l’échelle mondiale, l’Asie connaît une explosion de la prévalence chez les seniors (notamment en Chine), alors que le Japon présente une stabilisation, probablement du fait de politiques de prévention et de dépistage mieux ancrées.

Le poids des inégalités sociales dans la prévalence du cancer bronchique sénior

Les disparités socio-économiques restent déterminantes dans la distribution du cancer du poumon chez les plus âgés :

  • Données françaises: chez les personnes âgées de 65 ans et plus, la prévalence du cancer du poumon est doublée dans les populations les plus défavorisées par rapport à la tranche supérieure (DRESS & INCa, 2022). Cela reflète non seulement des différences de comportements tabagiques, mais aussi un accès inégal à la prévention, au dépistage et aux soins de qualité.
  • Un travail publié en 2021 dans le European Journal of Cancer souligne que le gradient social persiste même chez les octogénaires, avec des taux de mortalité plus élevés dans les populations défavorisées, y compris à niveau de comorbidités comparables.

À l’échelle de l’OMS, cette inégalité sociale reste l’un des défis majeurs de la lutte contre le cancer du poumon chez les seniors dans de nombreux pays.

Vivre en établissement ou à domicile : un facteur modulateur de la prévalence ?

Il existe peu d’études précises sur la prévalence du cancer du poumon chez les seniors selon le lieu de vie (domicile versus EHPAD ou maison de retraite).

  • Une sous-déclaration fréquente : En EHPAD, la détection précoce du cancer du poumon est plus rare, souvent en raison de la fragilité globale du patient qui élude la réalisation d’examens invasifs. Selon une enquête récente du Haut Conseil de la Santé Publique (2021), le taux de diagnostics de cancers broncho-pulmonaires posés en EHPAD est inférieur de 30 % à celui observé à domicile chez les personnes âgées équivalentes.
  • Pratiques médicales différenciées : On retrouve davantage de diagnostics en phase avancée, posés de façon symptomatique ou palliatif, en établissement ; ce qui laisse supposer une prévalence réelle sous-estimée.

Quelques études menées en Allemagne (DGHO, 2019) montrent également que le taux d’incidence “visible” en institution reste bas, mais cela est largement conditionné par le faible recours au dépistage organisé dans ces lieux de vie.

Quels horizons pour la prévalence des cancers thoraciques chez les seniors d’ici 2030 ?

Les projections réalisées par l’INCa et l’OMS convergent sur un constat important :

  • Le nombre absolu de personnes âgées touchées par un cancer thoracique en France pourrait augmenter de 25 à 35 % d’ici 2030, simplement du fait du vieillissement démographique.
  • Au niveau mondial, l’OMS estime que 71 % des nouveaux cas annuels de cancer du poumon en 2030 toucheront des personnes de 65 ans et plus.

Trois facteurs structurels modèlent ces projections :

  1. Le vieillissement massif de la population : la France comptera plus de 11 millions de personnes de 75 ans et plus à l’horizon 2030 (INSEE).
  2. L’impact différé des variations du tabagisme : même si le taux de tabagisme a baissé chez les plus jeunes, l’impact sur les seniors sera encore très marqué pendant la prochaine décennie.
  3. Les progrès thérapeutiques : paradoxalement, l’amélioration des traitements devrait augmenter la prévalence, en accroissant le nombre de patients vivant avec (et parfois après) leur cancer.

Pour aller plus loin : une vigilance collective sur la prévalence, levier d’une meilleure prise en charge

Appréhender finement la prévalence du cancer du poumon chez les seniors est un préalable essentiel pour adapter les stratégies de prévention, de dépistage et de prise en charge. La démographie et les progrès médicaux modifient en profondeur la cartographie de cette maladie, tout en accentuant les enjeux d’équité et d’accès aux soins. Loin d’être un phénomène statistique, l’augmentation de la prévalence chez les aînés doit questionner nos pratiques cliniques, les politiques publiques et la nécessaire personnalisation du parcours de soins avec l’âge. Sources principales : INCa, Santé publique France, FRANCIM, OMS GLOBOCAN 2020, European Journal of Cancer, DRESS, INSEE, DGHO (Deutsche Gesellschaft für Hämatologie und Onkologie), National Cancer Institute (USA), ESMO.

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