Il ne fait aucun doute : l’espérance de vie s’allonge dans les pays développés et la part des patients âgés parmi les nouveaux diagnostics de cancers thoraciques ne cesse d’augmenter (INCa 2023). Or, au croisement du vieillissement et du risque oncologique, la capacité pulmonaire s’impose comme un acteur discret mais central. Que se passe-t-il quand nos poumons perdent de leur performance avec l’âge ? Pourquoi ce phénomène semble-t-il favoriser l’apparition ou l’aggravation de tumeurs ? Trop souvent, cette question est reléguée au second plan. Pourtant, la compréhension fine du phénomène est essentielle pour agir en prévention, diagnostiquer plus tôt et agir plus justement.
Le poumon, à partir de 30 ans, commence une lente transformation. Chaque décennie, la capacité vitale – c’est-à-dire la quantité d’air maximale expulsée après une inspiration profonde – diminue de 25 à 30 ml/an (ERS White book, 2013). Cela paraît anodin, mais sur 40 ans, c’est potentiellement une perte de plus d’1 litre de capacité. L’élasticité pulmonaire (la compliance) diminue aussi, tandis que la paroi thoracique devient plus rigide.
Outre la diminution de l’endurance à l’effort, ces modifications impliquent un déficit progressif de l’oxygénation tissulaire et une vulnérabilité accrue face à toute agression du parenchyme pulmonaire.
En vieillissant, l’environnement pulmonaire se transforme. Les cellules épithéliales accumulent des dégâts (mutations somatiques, épuisement de la capacité de réparation), tandis que la défense immunitaire locale s'affaiblit ; c’est le concept d’inflammaging (inflammation basse, chronique liée à l’âge) évoqué par Franceschi et al. dès les années 2000. Cette micro-inflammation persistante, associée à l’accumulation de stress oxydatif, altère le micro-environnement pulmonaire :
C’est sur ce terrain appauvri que les cellules cancéreuses trouvent un terreau propice à leur croissance et à leur dissémination.
La diminution de la capacité ventilatoire entraîne souvent une hypoxie tissulaire, même modérée. Or, plusieurs études (telles que celle parue dans Nature Reviews Cancer, 2009) montrent que l’hypoxie chronique :
Le système immunitaire vieillit lui aussi. Le phénomène de immunosénescence se traduit par une baisse de la quantité et de la qualité des lymphocytes, clefs dans la surveillance anti-tumorale. Moins efficaces, ces cellules laissent les lésions prénéoplasiques progresser vers des tumeurs franches. La réduction de la capacité pulmonaire vient aggraver cette tendance : les défenses locales s’amenuisent et les cellules cancéreuses échappent plus facilement au contrôle.
Avec l’âge, la probabilité de souffrir de broncho-pneumopathie chronique obstructive (BPCO), de fibrose pulmonaire idiopathique ou d’asthme sévère augmente. Ces maladies s’ajoutent à la diminution physiologique de la capacité pulmonaire.
Le cercle vicieux est enclenché : plus la fonction respiratoire baisse, plus les tissus sont exposés aux toxiques (tabac, polluants), moins ils se défendent, plus le passage vers le cancer devient probable.
On pourrait espérer que cette vulnérabilité soit compensée par une surveillance renforcée chez les seniors. En pratique, c’est loin d’être le cas :
Selon l’INCa, plus de 30 % des cancers du poumon diagnostiqués après 75 ans le sont à un stade avancé, contre 17 % chez les moins de 65 ans.
Chez la personne âgée, toute stratégie visant à améliorer ou à préserver la capacité pulmonaire est bénéfique :
La baisse de la capacité pulmonaire liée à l’âge, loin d’être anodine, structure profondément le risque et le pronostic des cancers thoraciques. Elle façonne aussi les parcours de soins, la qualité de vie, et les décisions thérapeutiques. Souvent, le débat public se centre sur la thérapeutique et l’innovation, oubliant le rôle crucial de la physiologie du vieillir et de la prévention primaire.
C’est un défi collectif : celui d’adapter la médecine, la science, l’accompagnement et l’éducation des professionnels à cette réalité. Parce qu’un souffle, même diminué, doit rester synonyme de vie, de longévité active, et non d’une condamnation inéluctable.