Cancer du poumon chez les seniors : quelles classes d’âge sont les plus exposées après 65 ans ?

Une courbe d’incidence qui ne s’arrête pas à 65 ans

Il y a quelques décennies, l’oncologie thoracique considérait déjà les personnes de plus de 65 ans comme “âgées” et représentatives des cas typiques. Aujourd’hui, la démographie évolue : en France, près de 60% des patients diagnostiqués avec un cancer du poumon ont plus de 65 ans (source : Institut National du Cancer, INCa, 2023). Cependant, cette large catégorie masque des écarts notables entre sexagénaires, septuagénaires, octogénaires et au-delà.

D’après les données du Registre Français des Tumeurs Thoraciques et du Réseau Francim, l’incidence du cancer du poumon croît rapidement après 65 ans, avec un pic historique observé entre 70 et 79 ans, puis un léger repli au-delà de 80 ans. On constate :

  • Entre 65 et 69 ans : incidence estimée en France aux alentours de 190 pour 100 000 chez les hommes, 60 pour 100 000 chez les femmes.
  • Entre 70 et 74 ans : l’incidence augmente nettement ; chez les hommes, elle dépasse 215 pour 100 000, et approche 85 pour 100 000 chez les femmes.
  • Entre 75 et 79 ans : stabilisation ou plateau, avec environ 210 à 230 pour 100 000 chez les hommes et 90 pour 100 000 chez les femmes.
  • Après 80 ans : diminution modérée : 170 pour 100 000 chez les hommes, 67 pour 100 000 chez les femmes.

Ces chiffres démontrent un âge de prédilection du cancer du poumon, qui, paradoxalement, glisse vers les septuagénaires et octogénaires avec l’évolution démographique et le recul de l’espérance de vie sans incapacité.

Pourquoi l’incidence décroît-elle après 80 ans ?

Une lecture rapide pourrait laisser penser que passer cet âge, le risque diminue, mais l’interprétation est plus nuancée. Plusieurs facteurs concourent à la baisse apparente de l’incidence après 80 ans :

  • Diminution du dépistage ou du recours au diagnostic : à un âge très avancé, des symptômes peuvent être imputés à d’autres causes ou le bénéfice du diagnostic peut être questionné par les patients ou les soignants, entraînant une sous-déclaration.
  • Sélection biologique : il existe un "effet de sélection" : les individus très exposés à certains risques ont pu déjà être atteints, diminuant ainsi la population "à risque" dans les strates d’âge extrêmes.
  • Décès compétitifs : la concurrence avec d’autres causes de mortalité (cardiovasculaire, autres cancers, décompensations chroniques) réduit aussi le nombre total de cas diagnostiqués après 80 ans.

Il est donc probable que l’incidence réelle après 80 ans soit encore sous-estimée, en partie du fait des biais inhérents à la gériatrie et à la multiplicité des comorbidités (source : Rapport “Cancers et personnes âgées”, INCa 2023).

Sexe, tabac et génération : des disparités qui évoluent avec l’âge

Le profil des personnes âgées atteintes n’est pas homogène. Les décennies récentes ont vu émerger des tendances notables :

  • Chez les hommes, la génération ayant le plus consommé de tabac durant sa vie est aujourd’hui dans la soixantaine et la septantaine, d’où un maintien de l’incidence élevé dans ces tranches d’âge.
  • Chez les femmes, ayant augmenté leur consommation tabagique plus tardivement (période post-1960), la hausse la plus forte concerne actuellement les personnes entre 70 et 79 ans, et cette incidence poursuit sa progression (source : Santé Publique France, Bulletin Épidémiologique Hebdomadaire).
  • Cancers du poumon sans antécédent de tabagisme : ils sont proportionnellement plus nombreux chez les femmes et les plus de 75 ans, suggérant l’influence accrue de facteurs autres (pollution, exposition à des agents cancérigènes, génétique).

Cela complexifie la prévention secondaire : la génération qui entre aujourd’hui dans la “vieillesse” a un parcours fumé-tabagique différent des précédentes et une exposition cumulative à d’autres risques.

Particularités biologiques et cliniques selon les tranches d’âge

Les cancers du poumon ne se signalent pas de la même façon selon l’âge. Ainsi, chez les personnes âgées de 65 à 74 ans, la symptomatologie reste souvent typique (toux, hémoptysie, amaigrissement, douleurs thoraciques). En revanche, au-delà de 80 ans, des formes plus “silencieuses”, révélées fortuitement (scanner effectué pour autre chose), sont fréquentes, tout comme des tableaux atypiques (chutes, confusion) (source : Gercor, Groupe Coopératif de Recherche Clinique en Oncologie).

On observe aussi chez les plus âgés :

  • Une plus grande part de cancers bronchiolo-alvéolaires et d’adénocarcinomes, probablement liés à l’évolution des facteurs de risque et des diagnostics.
  • Une augmentation des formes avec altérations moléculaires “ciblables”, notamment EGFR, chez les très âgés et les non-fumeurs.
  • Des comorbidités fréquentes qui masquent les symptômes classiques et retardent le diagnostic.

Tous ces éléments accentuent la nécessité d’une approche personnalisée, mais aussi la difficulté de quantifier précisément l’incidence par sous-groupe d’âge très avancé.

Prise en charge : cap sur les septuagénaires et au-delà

Les protocoles de traitement tendent encore à exclure ou à sous-représenter les 75, 80 ans et plus dans les essais cliniques. Pourtant, selon l’étude européenne EORTC Elderly, la toxicité des thérapies innovantes (immunothérapie, thérapies ciblées) n’est pas obligatoirement supérieure chez les plus âgés, surtout lorsqu’une évaluation gériatrique préalable est réalisée (Lancet Oncology 2019).

La prise en charge doit donc intégrer l’âge non comme un seuil arbitraire, mais comme un facteur de personnalisation du traitement :

  • Age 65-74 ans : la plupart sont éligibles aux standards thérapeutiques, à condition d’une évaluation fonctionnelle complète.
  • Age 75-79 ans : la sélection du traitement se fonde sur la réserve fonctionnelle, les comorbidités et le désir du patient.
  • Après 80 ans : l’accent est mis sur la qualité de vie, l’adéquation des soins à la situation sociale et l’anticipation des risques liés à la fragilité.

Dans toutes ces tranches, l’espoir réside dans l’intégration de l’oncogériatrie, discipline visant à ajuster les parcours thérapeutiques sans dogmatisme, ni abandon systématique devant l’âge.

Perspectives : allongement de la vie et révolution thérapeutique à l’horizon

La croissance de la population très âgée (85 ans et plus) : ce groupe qui représentait moins de 4% des cas en 2000, dépassera 10% des nouveaux diagnostics de cancers du poumon en 2030 selon les projections de l’INCa et de l’OMS. Cela pose des défis éthiques, logistiques, mais aussi scientifiques : le besoin de générer des données véritablement représentatives de ces populations n’a jamais été aussi criant.

Les progrès récents laissent entrevoir une révolution : les essais de dépistage ciblé des plus de 70 ans, les registres intégrant des variables gériatriques, et l’arrivée de traitements mieux tolérés pourraient redéfinir la répartition par âge des patients traités et suivis. Les recommandations évoluent, insistant sur la non-discrimination : aujourd’hui, l’âge ne doit plus être une barrière seule à la prise en charge.

Avec une population vieillissante et une survie améliorée, l’avenir de l’oncologie thoracique s’écrira de plus en plus avec, et pour, les plus de 75 ans. Les questions qui se posent : comment conjuguer l’accompagnement des plus fragiles avec l’accès à l’innovation ? Quelles stratégies pour maintenir leur qualité de vie ? Cet enjeu scientifique et humain devra être relevé collectivement.

Pour aller plus loin

En savoir plus à ce sujet :