Au fil des années, chaque cellule du corps subit des agressions qui endommagent son ADN. Malgré leur capacité de réparation, les cellules pulmonaires accumulent progressivement :
L’exposition à des facteurs environnementaux (tabac, pollution, infections respiratoires, radon) accentue ce phénomène, mais l’âge en soi reste un déterminant majeur d’accumulation de lésions. Le nombre total de mutations somatiques par cellule double environ tous les huit ans dans les cellules pulmonaires (Martincorena, Science 2015).
Normalement, différents systèmes réparent l’ADN dès qu’une anomalie est détectée (par exemple, la recombinaison homologue ou la réparation par excision de bases). Avec l’âge, ces mécanismes deviennent défaillants :
Il suffit de quelques "erreurs" non corrigées sur certains gènes-cibles (oncogènes ou suppresseurs de tumeurs) pour faire le lit de la transformation cancéreuse.
La sénescence désigne l’arrêt définitif du cycle cellulaire d’une cellule. C’est la première ligne de défense anti-cancer : une cellule trop abîmée cesse de se diviser. Mais son accumulation dans le tissu pulmonaire âgé pose problème :
Les tissus, surchargés de cellules sénescentes, voient leur microenvironnement se transformer : moins propice à la réparation, plus tolérant aux anomalies, parfois même “fertile” pour l’apparition de clones tumoraux.
À chaque respiration, les cellules pulmonaires gèrent un paradoxe : l’oxygène vital génère aussi des radicaux libres, molécules capables d’endommager l’ADN, les protéines et les membranes. Avec l’âge, l’équilibre s’inverse, et le stress oxydatif chronique :
Chez les seniors, le niveau de stress oxydatif mesuré dans le liquide pulmonaire est en moyenne deux fois plus élevé que chez les adultes d’âge moyen. Ce terrain favorise la transformation des cellules dites "pré-cancéreuses" en véritables cancers.
Le vieillissement s’accompagne d’une faible mais constante augmentation des marqueurs de l’inflammation : c’est l’inflamm’aging. Les études révèlent que :
Selon une étude de Yale (Calcinotto, Cancer Discov 2019), la persistance de l’inflammation chronique dans les poumons double le risque de transformation maligne des cellules bronchiques, même chez des non-fumeurs.
Les télomères sont des séquences répétitives situées à l’extrémité des chromosomes. À chaque division cellulaire, ces capuchons raccourcissent. Chez la personne âgée, leur longueur est dramatiquement réduite :
Chez les sujets âgés atteints de cancer du poumon, la longueur moyenne des télomères des cellules tumorales est inférieure de 35% à celle des sujets du même âge sans cancer (Hou et coll., Carcinogenesis 2015). Ce marqueur attire l’attention pour des stratégies de prévention et de suivi, mais aussi pour déceler une prédisposition.
Une autre facette clé du vieillissement cellulaire est l’immunosénescence. Ce phénomène désigne le déclin quantitatif et, surtout, qualitatif du système immunitaire avec l’âge. Concrètement, cela se traduit par :
Les thérapies d’immunomodulation, parfois spectaculaires chez le sujet jeune, montrent des résultats beaucoup plus variables chez les patients de 70 ans et plus (ASCO 2023), posant de nouveaux défis en termes de personnalisation des traitements.
L’épigénétique — ces modifications qui régulent l’expression des gènes sans toucher à la séquence de l’ADN — se modifie profondément au fil des années. Plusieurs changements sont particulièrement pertinents dans le contexte pulmonaire :
Des centaines de marqueurs épigénétiques anormaux ont déjà été identifiés dans les tumeurs pulmonaires des patients âgés, certains apparaissant dès les stades précancéreux. Une banque européenne (EPIC, International Journal of Cancer 2022) collecte actuellement ces "signatures", promesses d’outils pour le dépistage ou l’évaluation du pronostic.
La complexité du vieillissement cellulaire, loin d’être une fatalité biologique, ouvre d’immenses portes à l’innovation clinique. Les progrès dans le décryptage des mutations, le ciblage des sénescentes, l’accompagnement immunologique ou l’étude des signatures épigénétiques font évoluer la façon dont l’oncologie thoracique aborde la prévention, le diagnostic et la prise en charge des cancers du poumon liés à l’âge. Un enjeu majeur pour notre société.
: Santé Publique France, Cancer Research UK, Nature Reviews Cancer, J Pathol, Science, Annu Rev Physiol, Br J Cancer, AACR, ASCO, International Journal of Cancer, EPIC Study, N Engl J Med.